Que ressentez-vous lors d’une collaboration entre des univers différents, des musicien.nes venant de différentes régions du monde et qui se rencontrent pour créer des chants, des créations musicales? Que vous procure l’union des forces de collectifs activistes de différentes régions du monde autour de valeurs communes afin d’amplifier leur impact ? Et lorsque des professionnel.les engagé.es créent des collaborations improbables ? Ces associations sont des expériences bouleversantes de sens et d’humanisme. Collaborer, créer des ponts entre praticien.nes, activistes, organisations aux profils et angle d’action variés est un tremplin pour transformer les sociétés et réduire les oppressions, la colonisation, le patriarcat et le capitalisme, tout en prenant soin de la santé physique et mentale de toustes.

Les défis de la collaboration

Ces dernières années j’ai eu l’opportunité de créer, de faciliter ou de participer à plusieurs projets de collaborations, de consortium et de mouvements.

J’ai été témoin d’ouvertures, de compassion, de transformations, et aussi de jugements, d’absence d’écoute. J’ai expérimenté un patriarcat exacerbé, des rapports de domination, le sexisme, vu le colonialisme, l’exclusion, la manipulation, la trahison…

Tous les ingrédients pour fuir le collectif. Alors à quoi bon ? Si c’est pour reproduire les oppressions, non merci ! Et puis, ai-je besoin du collectif ?

Au fond, nous avons comme désappris à faire société.

La clef du vivre bien n’est-elle pas l’autonomie ?

Le néolibéralisme aidant, une quête vers l’autonomie, au sens de la réussite individuelle, de tout faire par soi-même, de dominer pour mieux régner, s’est imposée. Le besoin de savoir plus ou mieux que, d’être plus avisé ou d’être plus légitime à montrer le chemin. Tant d’encouragements viennent remettre en question les efforts pour faire collectif et viennent systématiser les formes de hiérarchie entre soi et les autres et entre les membres constituant un collectif. 

Cette notion d’autonomie s’est emparée des pratiques de care collectif pour venir servir des ambitions personnelles ou économiques, floutant ainsi l’exploitation et les rapports de domination.

Travailler dur pour obtenir plus de reconnaissance et se détendre avec quelques séances de yoga ou de méditation devient monnaie courante. On se voit pousser au burn-out et se faire offrir un accompagnement psychologique.

Ainsi, la responsabilité du système qui opprime et exploite les humains et les environnements, repose sur les individu.es.  

L’histoire qu’on nous raconte, c’est « Prends soin de toi individuellement et le monde changera » !

Le capitalisme se nourrit de l’exploration du « moi-moi », de la mise à distance et des vies surchargées. Plus nous sommes centrés sur notre être, sur la gestion du quotidien, moins nous n’avons d’espace pour vivre et ressentir le monde. Plus nous sommes docile, moins nous nous interrogeons, moins nous faisons de vague.

Parle-moi de toi :

Malgré les valeurs qui t’ont poussé.es à t’engager, tes formations, tes transformations et tes expériences, te sens-tu impuissant.e et peu aligné.e ? ou utilisé.e ?  

As-tu le sentiment d’avoir peu d’espace pour créer, penser, te consacrer aux causes et pratiques qui te tiennent à cœur ?

Un sentiment d’imperfection, d’insatisfaction te chatouille fréquemment ? et que l’actualité te dévore ?  

Seul.e, nous ne pouvons changer le monde !

Changer les mentalités

Ce qui dirige nos attitudes, nos modes de vie, notre économie sont un ensemble de systèmes fondés sur des hypothèses, des croyances et des expériences. Elles sont élaborées dans un contexte donné, souvent porté par la peur de l’autre ou de la nouveauté. Par exemple des rapports de domination ont été mis en place à la rencontre entre 2 peuples, de peur que l’un prenne le pouvoir sur l’autre.

Ken Keyes, sociologue, émet l’hypothèse que « tout comportement nouveau se heurte automatiquement à une sorte de levée de boucliers des anciens, notamment des vieux hommes qui détiennent l’autorité et qui se considèrent comme défenseurs des traditions et des règles obligatoires ». Un sentiment de déjà vu m’envahit.

En outre, dans le podcast « Comment changer les mentalités de toute une espèce », de « Le biais de Bernard Werber » est explorée la théorie du 100ème singe.

L’observation de macaques au Japon a permis de constater qu’une femelle a fait le choix de laver sa patate douce avant de la consommer et de répéter ce geste, suivie de sa mère puis de d’autres membres de la tribu, malgré les intimidations et les révoltes de certains vieux mâles. Puis, c’est au 100ème singe ayant répété ce geste systématiquement que ce geste est devenu une évidence pour la tribu.

Nathalie Sejean @nathaliesejean explore plus précisément cette analyse et le point de bascule dans ces écrits.

Collaborer ? A quoi bon!

Faire ensemble, collaborer, unir nos forces de manière pérenne est un facteur clef pour accompagner une transformation.

Qui plus est, le premier collectif dans lequel nous avons grandi est la « famille » physique, qui cristallise beaucoup de peurs, que les personnes craignent de revivre (être abandonné.e, de ne pas être écouté.e, de ne pas être légitime, d’être jugé.e…).

L’élan du collectif commence souvent par un souffle, une énergie folle, celle du début, celle de l’union. Faire communauté, être ensemble autour d’une ambition, d’une vision, celle de l’entraide puis parfois un désenchantement. Pourtant, j’ai pu constater et ressentir dans certaines collaborations, l’impression de ne pas appartenir aux standards. Nous avons l’impression parfois, de ne pas avoir les codes et de participer à des prises de décisions éloignées de nos valeurs. L’impression de tout porter seul.e se ressent.

En effet, la coopération crée souvent des espaces à travers lesquels viennent s’exprimer des enjeux de compétition ou de territoires (c’est moi qui, je sais faire et tu ne sais pas, ma méthode est la meilleure, mon lieu …) issus du capitalisme et du patriarcat. En prime, les actions sont parfois menées depuis des espaces douloureux. Elles perpétuent souvent les rapports de domination, reproduisent les violences et les oppressions, qu’iels dénoncent. A l’image de notre société qui colonise et exploite les corps, les terres et plus largement le vivant. D’ailleurs, on peut y être exploité.e ou s’exploiter pour faire plaisir aux collaborateurices. Dans ces espaces, la facilitation peut donc refléter un besoin individuel de reconnaissance, de mise en avant aux dépends du être et du faire ensemble.

Cela donne parfois envie de se replier sur soi. Et pourtant, l’individualisme et la peur de l’inconnu soutiennent ces systèmes.

En réalité, nous sommes des êtres sociaux et nous avons « juste » désappris à être ensemble, à collaborer.

Ressentir le « Je » et le « Nous » 

Vivre et ressentir le monde ensemble c’est bouleversant, puisque s’invite une dimension émotionnelle profonde.

Se mettre en collectif, c’est grandir en responsabilité. Au-delà des outils, cela nécessite de partager une vision, de travailler les postures, la répartition des rôles à jouer et la facilitation. De cette manière, il est possible de ressentir le collectif, en ouvrant les yeux, observant, écoutant les ressentis, étant dans le corps pour comprendre, ajuster et oser.

Néanmoins, plus un groupe est large, plus la responsabilité est partagée, plus les individus ont tendance à transférer leur responsabilité individuelle aux autres membres du groupe.

De l’autonomie à …

Comment penser de manière collective dans une société de profits et d’hyper responsabilisation individuelle ?

Au quotidien, on nous dit que nous sommes individuellement responsables de notre santé par nos choix d’hygiène de vie, mais aussi que notre réussite professionnelle et personnelle est liée à nos choix individuels. La santé et notre contribution au monde relèvent-elles vraiment d’une démarche individuelle ?

Pourtant, les peuples autochtones partagent souvent une même approche de l’ « autonomie », qui se définit par connaître ses fonctionnements, ceux de la communauté, et ceux des écosystèmes pour contribuer à leur maintien. Toute la communauté sait identifier la source des eaux qui circulent, leur cheminement et le soin a leurs apporter. Une tâche, comme faire un feu, repose sur l’ensemble des membres de la communauté. Chaque personne apporte un rondin de bois. L’équilibre de la communauté repose sur un ensemble de systèmes de collaboration.

De surcroît, la « santé » se définit approximativement par l’équilibre des écosystèmes. Si je ressens des maux, c’est que l’écosystème est souffrant. Dans certaines communautés, le premier repas de la journée réunit tout le monde et permet à chaucun.e de partager ses ressentis, ses douleurs et de faire état de la santé de l’écosystème, autour de mets que chacun.e partage, pour ensuite prendre des décisions afin de rétablir la santé de l’environnement.

Chaque personne, chaque élément représente une pièce d’un puzzle vivant, en 3D.

Ecouter nature, connecter
@lenaiklepoul
Lien, réseau, interdépendance
@sylvanamele & @medecinephotographie

… L’interdépendance dans la collaboration

Plus concrètement, l’autonomie s’acquière lorsque nous savons reconnaître de quoi notre environnement et nous avons besoin pour vivre bien. Nous sommes, en effet, interdépendant.es de la manière dont nous prenons soin de l’environnement et dont la communauté va en prendre soin. Et inversement, si notre environnement est déséquilibré par des facteurs extérieurs. Nous pouvons nous-même et les membres de notre écosystème, connaître un déséquilibre (anxiété, troubles de santé…). Et, alors, la collaboration permet la réduction la disparition de ces facteurs extérieurs.

Par exemple, c’est étonnant, les populations du monde entier connaissent une recrudescence des « troubles de santé mentale ». Elles vivent pourtant dans des contextes et des environnements différents. Leurs milieux de vie et ces personnes sont sujets à des formes d’oppressions (restriction des zones de vie, terres sur-exploitées, pollutions, accès à des aliments ultra-transformés, exploitation des corps à des fins de productivité…). Les principaux facteurs extérieurs responsables de ces déséquilibres : le capitalisme, le colonialisme et le patriarcat. Il n’y a donc pas le trouble de Claudine, celui de Dani ou de Karim, mais des systèmes oppressifs. Ils viennent déséquilibrer des écosystèmes, et ne permettent pas aux humains de les maintenir.

Alors, comment hacker ces systèmes oppressifs ?

En cultivant l’interdépendance dans la collaboration! Je pense notamment à:

  • se souvenir ou réapprendre comment fonctionne notre environnement et ses besoins ;
  • savoir identifier les émotions qui nous traversent et les besoins qui y sont liés,
  • reconnaître les privilèges, les besoins des autres ;
  • observer là, où je subis une forme d’oppression et là où je les reproduis ;
  • jouer et placer le plaisir au coeur d’une exploration de vision commune ;
  • respirer ensemble;
  • découvrir ensemble, de manière sensorielle, un bois, un espace naturel, en observant ses rythmes, ceux des autres.

Penser notre rôle ainsi permet de passer de la dépendance, qui vient nourrir les rapports de domination, à l’interdépendance dans la collaboration.

D’ailleurs, j’aime beaucoup cette proposition de Nathalie Sejean @nathaliesejean : « la vie est une conversation perpétuelle avec tout à toutes les échelles ; entre moi et mon corps, mon corps et l’espace qu’il occupe, moi et les autres et puis l’espace qu’iels occupent ».

Transformer ensemble …

Les individu.es cherchent une transformation. Les thérapeutes cherchent à transformer les individu.es pour qu’iels se sentent mieux. Les militants et activistes cherchent à transformer le monde pour plus de justice sociale et environnementale. Les artistes cherchent à créer des émotions pour transformer le monde. Les entrepreneur.es de l’ESS cherchent à transformer le monde.

Devant le chaos du monde, les injustices et les catastrophes, nous nous sentons souvent impuissant.es. Nous nous posons les questions suivantes :

  • A quoi, je sers ?
  • Comment contribuer à bâtir des sociétés qui prennent soin de toustes ?
  • Comment est-ce que je peux apporter plus de soin à moi et mon environnement ?
  • Comment contribuer à réduire l’exploitation et les oppressions ?

Le bien-être, la recherche de bien-être et chercher à améliorer les conditions de vie relèvent d’une démarche politique. Accompagner ces transformations ne peut pas se faire qu’en collaboration et en dehors de toute neutralité.

… en joyeuse interdépendance

Il existe de nombreuses manières de contribuer à transformer le monde. Et aujourd’hui, ce que mes expériences, m’ont enseignées, c’est la nécessité de parfois mettre ses convictions entre parenthèse. Il en émerge une bouleversante invitation à aller vers les autres, vers son environnement, en se laissant guider par la curiosité et la joie des premières découvertes, pour comprendre.

Elle en sera plus forte, si ensuite, connecté.es à votre coeur et à votre abdomen, vous allez rencontrer vos valeurs (individuellement et collectivement). Celles qui se trouvent au coeur de vos tripes. Ainsi, elles vous éclaireront sur la vision à long terme de ce que vous souhaitez vivre en tant que société, en collaboration.

Le « Nous » se fonde sur la diversité, le partage des valeurs et les différentes formes qu’elles peuvent prendre. Vous aurez alors sûrement plaisir à relationner avec des personnes, des groupes, des organisations.

Et dans un troisième temps, pour structurer les modes d’actions et la collaboration, et en s’inspirant de vos talents, vous choisirez les rôles à jouer. Par exemple, la cartographie proposé par Deepa Iyer @deepaviyer et @buildingmovementproject sera sûrement appropriée.

Ces étapes sont des propositions pour venir nourrir des alliances pluridisciplinaires et mettre le collectif, la collaboration au service de nos fragilités. Elle revêt d’une démarche soutenante pour faire émerger des cultures émancipatrices, coopérantes, protectrices et solidaires.

With love & justice